CHAPITRE III :
LA RÉINCARNATION (2/2)
Ainsi que j'aurai bientôt l'occasion de le démontrer,
à la haute vérité hindoue, la
théologie moderne n'a su opposer que son
ignorance des anciennes traditions et son absence de sens critique dans l'interprétation de ses propres écritures sacrées. C'est peu de chose lorsqu'il s'agit de justifier la négation du dogme de la Réincarnation et d'imposer cette négation à des
esprits qui pensent par eux-mêmes.
J'ai dit que le
Bouddhisme avait repris sans hésiter
la doctrine
brahmanique de la Réincarnation ; mais l'enseignement de Bouddha,
dans les principaux points touchant la croissance de l'
âme, a été
si ridiculement dénaturé par ses commentateurs auxquels manquait
l'intuition spirituelle nécessaire à sa réelle interprétation, que je vais faire appel à l'attention de mes lecteurs pour aborder ce sujet dans le véritable
esprit des écritures bouddhiques.
Tous ceux qui ont étudié l'Orient savent que
ses écrivains se plaisent à jeter sur les vérités
philosophiques et
religieuses le voile transparent de l'
allégorie. Ne serait-ce
pas trahir un poète que de le prendre à la lettre au lieu de rechercher
le sens profond qu'il a caché sous la fiction ? Que penserions-nous d'un
homme qui prétendrait interpréter littéralement la magnifique
allégorie de la vérité cachée au fond d'un puits ?
Un tel procédé de critique ne nous paraîtrait-il pas absurde ? C'est cependant celui de la plupart des auteurs contemporains qui se sont occupés d'iuterpréter la littérature hindoue.
Je vais en donner des exemples :
Lorsque la littérature hindoue traite des avatars de
Vishnou, elle voile les théories cosmogoniques par des récits d'incarnations divines dans des formes animales. Il en est encore de même lorsqu'elle décrit la mort de Bouddha survenue, dit un des Souttas Pali
(8), à la suite d'une indigestion causée par de la « viande de porc desséchée », qui lui fut servie par un certain Kounda, travailleur sur métaux à Pava. Cette interprétation littérale du récit de la mort de Bouddha se retrouve dans tous les
épitomes classiques du
Bouddhisme que nous a donnés la littérature
européenne. Si au lieu de reproduire aussi servilement le texte hindou, les traducteurs s'en fussent référé aux instructeurs bouddhistes contemporains,
ceux-ci les auraient remis dans la bonne voie. Le porc est en Orient, le
symbole
de la connaissance
ésotérique ; il est dérivé du porc
avatar de
Vishnou, forme dans laquelle ce
dieu s'incarna pour retirer la terre
des
eaux où elle était plongée. Autrement dit (d'après
la traduction du
Vishnou Pourana par Wilson),
l'avatar en question représente
allégoriquement la
religion rédemptrice. Nous trouvons dans le
Ramayana une autre version de cette
allégorie qui nous montre
Brahma prenant la forme d'un porc pour faire surgir la terre du
chaos primordial.
C'est ainsi que la chair de porc symbolisa dans les écrits
hindous la science
ésotérique : la connaissance de
Brahma.
Ce fut donc parce qu'il avait voulu pousser trop loin l'instruction
ésotérique d'un peuple insuffisamment préparé que
mourut Bouddha. Autrement dit, l'uvre du grand
initiateur prit fin le
jour
où il eut communiqué à ses contemporains le maximum de science
qu'il leur était possible de s'assimiler. Tel est le sens véritable
de ce récit si mal compris et interprété par les traducteurs
européens.
Lorsque l'idée mère est bien comprise, on peut
en suivre tous les développements dans les
annales pâli, et môme
dans la traduction de Rhys David, quoiqu'il ne paraisse pas en soupçonner
la véritable interprétation. C'est ainsi que Bouddha, avant la fête,
ordonne que « la viande de porc desséchée » ne soit
servie qu'à lui seul, les «
Frères », ses
disciples,
devant se contenter de gâteaux et de riz ; il ordonne ensuite que «
les restes de son repas soient conservés et enterrés, nul autre
que lui ne pouvant digérer ce mets », paroles étranges dans
la bouche d'un homme représenté, au sens positif de l'
histoire,
comme n'ayant pas pu le digérer. Mais la signification véritable
est qu'après lui, aucun des «
Frères » ne devait reprendre
la tâche de livrer au monde les secrets
ésotériques.
La doctrine bouddhiste n'eut pas un meilleur sort que les
évangiles bouddhistes entre les mains des étudiants distingués
qui prirent la peine d'en traduire les écrits pour les répandre
dans le monde occidental ; ils auraient pu, par surcroît, nous éclairer
sur la science spirituelle que cette doctrine livre avec tant de réserve.
Les écrivains
européens ont résumé le
Bouddhisme en
deux théories principales, qui peuvent aller de pair avec la
légende
du « rôti de porc ». D'après ces traducteurs, le
Bouddhisme
ne reconnaissait aucune survivance de la conscience humaine après la mort, et en nous conseillant de suivre la voie du Nirvana, il procédait de ce point de
vue ultra pessimiste que toute vie consciente ne peut être que misère ; de sorte que le plus sage pour nous est de chercher l'extinction de toute conscience dans un sommeil sans rêve, dans l'oubli de toute chose, dans ce Nirvana, que l'on nous dit être identique à l'annihilation absolue.
Ces idées sont exprimées sans
équivoque, dans les uvres de Spence Hardy, Max Muller, Rhys David, Alabaster, Bigandet, Burnouf et autres
(9) ; elles sont encore accentuées et ridiculisées par l'américain Dr S. H. Kellogg dans sa caricature de la doctrine bouddhique. Le commentateur allemand Dr Oldenberg se distingue honorablement, en combattant l'idée que Nirvana soit synonyme d'annihilation ; mais, dans sa longue et laborieuse argumentation, il a omis de citer certains passages des Ecritures qui eussent victorieusement résolu la question. Barth nous dit aussi dans
Religions of India qu'il se permet de
douter que l'intention du
Bouddhisme soit d'enseigner la non survivance de la
conscience individuelle d'une incarnation à l'autre ; mais il ajoute que cet Ego si vaguement caractérisé, si faiblement compris ne saurait se comparer à l'
âme simple et impérissable de la philosophie sankhya. L'exégèse
européenne de la doctrine bouddhique peut donc se résumer par les deux théories précitées : pas de vie future, et annihilation dans le Nirvana.
La conciliation de ces deux erreurs fondamentales n'a pas
été facile pour les critiques du
Bouddhisme. En effet, si la soi-conscience
de l'homme n'existe que pendant sa vie, pourquoi pratiquer le renoncement et les
mortifications imposés au candidat du Nirvana, pour en arriver quand même
à l'annihilation finale ? D'autre part, l'enseignement bouddhique fait
sans cesse allusion au Karma, qui, représentant la somme des mérites
et démérites qui détermine les conditions de l'incarnation
future, présuppose logiquement une conscience persistante de l'
âme,
que ces conditions ont pour but de récompenser ou de punir.
Il est vrai qu'on sort de ce dilemme par cette autre
conception
(due à l'ingéniosité du Dr Rhys David), que le Karma n'accompagne
pas l'individualité d'une incarnation à l'autre, mais qu'il donne
simplement naissance à une nouvelle individualité étrangère
à la précédente et néanmoins chargée de son
bon comme de son mauvais Karma ; ceci expliquerait la raison altruiste qui pousse
l'homme à se sacrifier pour atteindre au Nirvana ; son Karma se trouvant
épuisé par l'annihilation, nul n'en sera chargé, et ne renaîtra
aux souffrances terrestres. Le promoteur de cette thèse reconnaît
combien ce mobile est insuffisant pour guider la conduite des hommes ; néanmoins,
il ne paraît pas douter des conclusions premières qui lui ont donné
naissance.
Ces diverses méprises paraissent provenir des premiers
commentateurs occidentaux du
Bouddhisme entre 'autres Burnouf et Spence
Hardy qui oublièrent un point capital. L'uvre de Bouddha fut
plutôt de réformer la
religion existante que d'en réviser
le code depuis A jusqu'à Z. Il adopta, grosso modo, la foi hindoue et la
philosophie
brahmanique et en fit la base de l'enseignement le plus élevé
qu'il put tirer de cette réserve de sagesse
ésotérique (la
viande de porc desséchée) et qu'il put mettre à la portée
du peuple. « L'
âme simple et impérissable de la philosophie
sankhya » n'appartient donc pas moins au
Bouddhisme qu'à l'ancien
Brahmanisme ou à l'Hindouisme plus récent. Avant la venue de Bouddha,
la
religion orthodoxe avait déjà inculqué au peuple cette
croyance que les bons allaient au
ciel et les méchants en enfer. Bouddha
n'en fit pas le principe fondamental de sa doctrine. Ce n'était pas nécessaire,
la
théologie hindoue contenait déjà de nombreuses
conceptions
du
ciel et de l'enfer qui attendent l'homme après la mort ; elle enseignait
encore qu'après une vie spirituelle de félicité ou de souffrances
selon les cas, l'
âme devait reprendre une nouvelle incarnation sur terre.
La réforme de Bouddha est donc basée sur ces premières assertions
; les écrivains modernes l'ont bien reconnu, sans toutefois y attacher
l'importance voulue. Le professeur Sir Monnier Williams, dans son traité
de l'Hindouisme, s'exprime ainsi : « Environ cinq siècles avant notre
ère parut le réformateur Bouddha et conjointement avec quelques sages
brahmanes inspirés par son exemple et celui de ses prédécesseurs,
il composa le système orthodoxe proprement dit de la philosophie hindoue.
» Quelle en est au juste la teneur ? Sir Monnier Williams en résume
ainsi les principaux dogmes : Eternité antérieure et future de l'
âme ; séjours périodiques de l'
âme dans des régions de récompense ou de châtiment ; son retour subséquent à l'existence corporelle. Dans ces
conceptions, Bouddha s'efforça surtout d'enseigner aux hommes qu'au delà de ces conditions physiques et spirituelles d'existence, il existe d'autres possibilités d'évolution humaine, mais si transcendantes que les expressions ordinaires « existence corporelle et existence spirituelle » sont impuissantes à les définir. Bouddha, dans son idéation puissante, ne pouvait concevoir une félicité qui ne fût pas éternelle. La plus heureuse des vies terrestres étant néanmoins périssable et pleine de vicissitudes, il pensait que l'homme doit tout faire pour s'affranchir de l'existence matérielle ; il lui faut donc détruire en soi, au prix des plus grands efforts, tous les désirs physiques et se détacher des séductions de la matière qui, autrement, rappeleraient inévitablement l'
âme à la terre,
à l'expiration d'une période d'existence spirituelle.
Les sermons et les leçons de Bouddha paraissent principalement
consacrés à la contemplation de cet état spirituel et transcendant
qu'il nomme Nirvana ; mais il entre peu dans les détails pour la bonne
raison qu'aucun des termes employés par l'intelligence humaine n'en sauraient
donner une idée exacte. L'homme incarné ne peut être séduit
que par des images reflétant la limitation et le sentiment de séparativité
qui caractérisent sa propre imagination ; et le Nirvana ne pourrait se
décrire que par la négation de tous les objets que nos aspirations
individuelles nous font regarder comme désirables. Bouddha eût donc
essayé en vain de définir le Nirvana et son entreprise eût
été même inutile, puisque cette
conception était familière
à ses auditeurs hindous.
Revenons maintenant à l'
épitome de la Foi hindoue,
par Sir Monnier Williams. Ce système n'admet de félicité
suprême que dans la perte de la personnalité ; elle doit se
fondre
dans l'Etre suprême, le seul qui n'est limité ni dans l'action, ni
par aucune qualité individuelle, mais qui est l'
essence même de la
vie, de la pensée et de la félicité. Pour nous autres, habitants
du plan physique, ces conditions d'existence paraissent incompréhensibles
; mais elles ne nous autorisent pas à commettre la grossière erreur
de les assimiler à l'annihilation. Il n'entre pas dans notre sujet de savoir
si Bouddha lui-même réalisait ou non ces conditions ; il nous suffit
de savoir qu'il considérait, à coup sûr, le Nirvana comme
l'état d'
âme le plus enviable qui fût, parce qu'il est aussi
le plus élevé dans l'échelle de la Nature. Cette définition
que Bouddha donna du Nirvana n'excita aucune contradiction parmi les Hindous ;
car avant lui le
Brahmanisme définissait déjà le Nirvana
comme l'absorption finale dans le Suprême, comme le but le plus glorieux
dévolu à l'humanité. Si nos penseurs occidentaux n'apprécient
pas la grandeur de cet
idéal, il faut en accuser nos habitudes de pensées
profondément matérialistes ; en effet, le sens de séparativité,
regardé en Orient comme une illusion de l'
âme incarnée, est
devenu actuellement chez nous le
sine qua non de toute existence rationnelle.
Nous concevons bien un état de conscience spiritualisé à
un très haut degré, nous comprendrions encore la jouissance qu'offre
une existence exempte de passions grossières ; mais nous nous rendrions
plus difficilement compte d'une libération totale des entraves du soi s'exprimant
par l'identification absolue avec la Conscience universelle. Cependant, sans essayer
de le comprendre, nous admettrons volontiers que quelques hommes, d'une spiritualité
exceptionnelle, aient pu professer ce désir, sans avoir pour cela manifesté
l'intention d'en arriver à l'extinction totale de leur conscience. En tous
cas, pour eux, l'état de conscience le plus élevé embrasse
l'état de conscience inférieur, le domine et finit par en triompher.
Si le Bouddha ne fit rien pour détruire ces croyances anciennes relatives à l'évolution normal de l'homme par l'enchaînement de renaissances successives séparées par des périodes de repos spirituels, si d'autre part la philosophie hindoue reconnut toujours le Nirvana comme but final de l'évolution, que vint alors enseigner le Bouddha ? Les sermons, les enseignements de la littérature bouddhiste, traduits
pour l'usage des Occidentaux, nous l'apprendraient ; nous allons répondre
à cette question en quelques mots. Bouddha vint enseigner à tous la voie du Nirvana qui jusqu'alors s'enseignait ésotériquement. Pourtant, la règle de vie qu'il conseille sans cesse dans ses instructions ne constitue pas un code journalier et moral à l'usage des foules, mais plutôt un ensemble de préceptes destinés aux hommes assez développés déjà pour désirer le Nirvana, ou à ceux dont la spiritualité déjà éveillée n'aura besoin que de quelques encouragements pour les conduire au même but. Nous avons la preuve de ceci, non dans les préceptes de Bouddha à ses
religieux les «
Frères », candidats avérés au Nirvana, mais dans ceux bien différents qu'il jugeait suffisants pour les hommes encore attachés aux idées de séparativité et dont les aspirations spirituelles ne s'élevaient pas au delà de la félicité personnelle goûtée au Paradis. En voici un exemple dans ce passage de la Mahaparinibbana Soutta
(10) ; on en pourrait d'ailleurs citer d'autres, mais celui-là est suffisant pour notre instruction.
Ces sentences font partie d'une courte adresse à quelques « chefs
de famille »
disciples de Bouddha, mais n'ayant pas embrassé la dure
discipline des Arhats (c'est-à-dire la candidature au Nirvana dont nous
avons déjà parlé). Nous n'y retrouverons pas cette métaphysique nuageuse qui en éloignerait les êtres peu enclins au subtil
esprit de sacrifice des aspirations nirvaniques.
Voici ce passage :
« Alors le Béni, s'adressant aux
disciples de
Pataligama, leur dit : « Ô chefs de famille ! au nombre de cinq sont
les pertes subies par l'homme au
jugement faux :
1° Il tombera dans
la misère par son désordre ;
2° son mauvais renom s'étendra
aux alentours ;
3° quelque société qu'il fréquente,
Brahmes, nobles, chefs de famille ou Samaras, il n'y entrera qu'avec embarras
et confusion ;
4° l'angoisse l'attendra sur son
lit de mort ;
5°
après sa mort et la
dissolution de son
corps, il renaîtra à
une vie d'infortune et de souffrances.
Ô chefs de famille ! au nombre de cinq sont les «
avantages qui attendent l'homme au
jugement droit :
1° Il amassera
de grandes richesses par son industrie ;
2° sa bonne renommée
s'étendra au loin ;
3° quelque société qu'il fréquente, nobles,
Brahmes, chefs de tribu ou membres de l'ordre, il pourra s'y présenter la tête haute et avec assurance ;
4° il mourra sans angoisse et
5° après la
dissolution de son
corps par la mort, il renaîtra à la félicité dans le
Ciel. »
On pourra certainement objecter que ce n'est pas là
un code parfait de morale même mondaine ; mais s'il était question
de juger l'éthique des enseignements de Bouddha, nous pourrions trouver
bien d'autres commentaires. La simplicité même de cet appel à
l'égoïsme, comme encouragement à bien faire, donne sa valeur
à ce simple extrait et montre avec quelle
force Bouddha affirmait la persistance
de l'
âme comme entité individuelle après la mort, non seulement
pour la grande majorité de l'humanité en général,
mais même pour ceux qui n'ont aucun titre à l'accès du sentier
de Nirvana.
Passons maintenant à l'enseignement chrétien,
qui a si longtemps privé l'Occident des bienfaits de la
Théosophie
comparative ; nous le verrons considérer la réincarnation comme
sous-entendue ainsi que le fit antérieurement la réforme bouddhique.
Un des passages les plus frappants du Nouveau Testament relatif
à l'idée de Réincarnation est celui où
Jésus
se réfère à la prophétie de Malachie, qui annonce
qu'Elyah ou
Elie doit revenir sur terre ; elle est contenue dans l'avant-dernier
verset de l'Ancien Testament :
« Et voici, je vous enverrai le
prophète Elie
avant le grand et terrible
jour du Seigneur. »
Dans le XIème chap. de
saint Matthieu,
Jésus
y fait allusion en ces termes :
« Qu'êtes-vous donc allés voir ? Un homme
vêtu avec des habits précieux ? Voici, ceux qui portent de riches
vêtements sont dans les maisons des rois. Pourquoi donc êtes-vous
allés ? Pour voir un prophète ? Oui, vous dis-je, et plus qu'un
prophète. C'est celui de qui il est écrit : Voici, j'envoie mon
messager devant ta face, qui préparera ton chemin devant toi. Je vous le
dis en vérité, entre ceux qui sont nés de femme, il n'en
a été suscité aucun plus grand que Jean-Baptiste.
Et si vous voulez le comprendre, il est cet
Elie qui devait
venir. Que celui qui a des oreilles pour ouïr entende. »
La même idée est exprimée ainsi dans
le IXème chap. de
saint Marc :
« Et ils l'interrogèrent en disant : Pourquoi
les
Scribes disent-ils qu'il faut qu'
Elie vienne auparavant ?
Il leur répondit : Il est vrai qu'
Elie devait venir
premièrement et rétablir toutes choses et qu'il en devait être
de lui comme du Fils de l'Homme, duquel il est écrit qu'il faut qu'il souffre
beaucoup et qu'il soit méprisé. Mais je vous dis qu'
Elie
est déjà venu, comme il est écrit de lui, et qu'ils lui ont
fait tout ce qu'ils ont voulu. »
Nous lisons de même dans le VIIème chapitre
de
saint Matthieu :
« Et ses
disciples l'interrogèrent, disant :
Pourquoi donc les
Scribes disent-ils qu'il faut qu'
Elie vienne premièrement
? Et
Jésus leur répondit : Il est vrai qu'
Elie devait venir premièrement
et rétablir toutes choses. Mais je vous dis qu'
Elie est déjà
venu, et ils ne l'ont point recounu, mais ils lui ont fait tout ce qu'ils ont
voulu ; c'est ainsi qu'ils feront aussi souffrir le Fils de l'Homme. Alors
les
disciples comprirent que c'était de Jean-Baptiste qu'il leur avait
parlé. »
Quelle signification pouvait-on donnera ces paroles,
sinon celle que Jean-Baptiste était une Réincarnation du
prophète Elie ? Ces mots significatifs : « Que celui qui a des oreilles pour ouïr entende, » marquent bien, que cette information s'adressait à ceux qui étaient déjà éclairés, plutôt qu'au peuple en général, qui n'en eût pu comprendre le vrai sens. Il ressort également de cet autre passage, XVIème chap. de
saint Matthieu, que
Jésus savait que ses auditeurs croyaient à la Réincarnation.
« Etant arrivé sur le territoire de
Césarée
de Philippe,
Jésus interrogea ses
disciples en disant : « Qui dit-on
qu'est le Fils de l'Homme ? » Ils lui répondirent : « Les uns
disent que c'est Jean-Baptistev; les autres
Elie, d'autres
Jérémie
ou l'un des prophètes. »
Jésus leur fit connaître qu'il n'avait rien
de commun avec ces prophètes ; mais cet entretien fait voir que la Réincarnation
était une idée familière à ses interlocuteurs, et
que, loin de la répudier en principe, il la confirme implicitement on ce
qui concerne Jean-Baptiste.
On verra combien cette croyance était répandue
parmi les
disciples de
Jésus par cette citation, XIème chap. de
saint Jean) qui a trait à un aveugle de naissance :
« Comme il passait, il vit un homme aveugle de naissance.
Et ses
disciples lui demandèrent : « Maître, qui a péché,
cet homme ou ses parents, pour qu'il soit ainsi né aveugle ? »
Jésus leur répondit : « Ce n'est point
que lui ou ses parents aient péché, mais c'est afin que les uvres
de
Dieu soient manifestées en lui. »
Analyser la réponse de
Jésus serait une digression
inutile ; la question seule est significative pour nous. Cet homme était
aveugle-né, et les
disciples demandaient si c'était
lui qui
par ses péchés avait mérité ce châtiment ? Ou
cette question était absurde, ou évidemment elle signifiait :
avait-il
péché dans sa dernière incarnalion ?
Il semble prouvé, d'ailleurs, que seuls les peuples
occidentaux contemporains ont perdu tout souvenir de ce dogme si important. La
raison en est due au progrès croissant d'une civilisation toute matérielle
qui, en étouffant le développement des facultés intérieures
de l'homme, a paralysé sa nature spirituelle. Les Théosophes, étudiants
de la divine Sagesse, luttent actuellement pour rétablir cette croyance
à la Réincarnation ; mais elle a été si longtemps
oubliée, chacun s'est fait une
conception si personnelle des destinées
futures, qu'on n'y renoncera que difficilement en faveur d'une vérité
qui parait gênante. Cette raison paraît suffisante à beaucoup
d'hommes pour les amener à nier la Réincarnation. Tout en rejetant
la doctrine Bouddhiste, on a omis d'examiner la croyance actuellement acceptée
en Occident, croyance qui implique la perpétuation
ad infinitum
des misérables personnalités que tant d'hommes sont condamnés
à supporter, ou plutôt, devrais-je dire, celles qu'ils se sont créées
à eux-mêmes en employant au mal les chances d'avancement qui leur
furent offertes. Ce serait là le plus triste sort imaginable pour la grande
majorité de notre race actuelle et ses représentants d'élite
feraient preuve d'un
idéalisme borné s'ils préféraient
la perpétuation indéfinie de leurs personnalités actuelles
aux perspectives de progrès
infini que nous ouvre la Réincarnation.
Je sais bien que quelques penseurs admettent aussi l'hypothèse d'un progrès
évolutif se poursuivant dans des régions spirituelles qui n'ont
aucun rapport avec notre système planétaire. Cette idée est
antiphilosophique et ne devrait pas être perpétuée par une
génération qui a pu constater, si elle a des yeux pour voir, combien
est intime la liaison entre les plans spirituels de la Nature et celui où
se manifeste notre humanité.
De pareilles espérances ne devraient pas être
entretenues par ceux que leur culture scientifique élève au dessus
du vulgaire et qui sont au courant des idées que nous venons d'exposer.
La croyance naïve qu'une vie vertueuse aura pour récompense un Paradis
où nous serons consolés et aidés d'une façon quelconque,
peut suffire à une humanité peu développée dont les
individus passent d'une vie inintelligente à une autre analogue, remettant
à plus tard le commencement de leur évolution supérieure.
Mais cette croyance ne saurait contenter ceux qui commencent à comprendre
la façon intime dans laquelle s'unissent les différents états
d'existence dont se compose un univers aussi complexe que le nôtre. Cette
croyance fait du monde terrestre un enfer d'injustice (ainsi que je l'ai déjà
dit) ; elle amoindrit aussi son rôle dans l'évolution humaine, car,
d'après l'hypothèse précitée, la partie la plus importante
de cette évolution s'accomplirait ailleurs. Nous ne devrions pourtant pas
contester à la terre le
fruit de ses souffrances. La grande famille humaine,
dans son
pèlerinage terrestre, a déjà parcouru l'immense
distance qui la sépare de l'état sauvage primitif ; une évolution
plus longue encore l'attend. En douter serait une insulte à la majesté
du Principe Divin avec lequel nous devons être en intime relation. C'est
en développant en nous la sagesse, la moralité et les potentialités
supérieures, c'est en apprenant à connaître la vie par de
pénibles épreuves, que nous nous rendrons digne d'habiter, dans
l'avenir, les organismes perfectionnés que les
forces physiques, en évolution
sur le plan matériel, nous auront préparés. Nous reviendrons
tous en ce monde, mais dans des conditions tellement meilleures, qu'en regardant
en arrière il nous paraîtra incroyable d'avoir jamais pu considérer
la condition actuelle de notre race comme suffisamment perfectionnée pour
nous permettre de quitter à jamais la
sphère des expériences
palingénésiques.
La doctrine de la Réincarnation donnerait encore matière
à bien des réflexions. Le sujet prendrait aussitôt une autre
tournure si nous venions à considérer qu'à de certains stades
d'avancement l'étudiant en occultisme, dont les facultés ont acquis
un développement approprié, est capable de retrouver uue pleine
et entière souvenance de ses vies passées, souvenir bien
plus complet que celui qu'un homme, dans la
force de l'âge, conserve de
ses années d'enfance. D'autre part, celui qui a rendu ses facultés
de clairvoyance susceptibles de s'exercer, aussi bien sur le plan spirituel que
sur le plan astral, pourra faire bien plus que se rappeler ses vies passées.
Il lui sera possible de se mettre en relation magnétique avec les archives
indestructibles où s'enregistrent toutes les expériences terrestres,
et pourra ainsi retrouver les vies passées des personnes avec lesquelles
il se trouve en rapport. Et de même pour les
Adeptes, non seulement la Réincarnation
en tant que Loi de l'évolution humaine, mais encore son mode d'action sont
une connaissance fondée, avec certitude, sur l'observation personnelle.
Mais expliquer cette science avant d'avoir parlé du Soi Supérieur
de l'homme, du véritable Ego réincarnateur, serait compromettre
l'ordre de notre travail. Je quitte donc ce sujet pour y revenir dans la suite.
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(8) Les « Souttas » sont les
évangiles bouddhiques. L'admirable version anglaise du Maha-Paranibbana Soutta est dûe à la plume de M. Rhys-David :
Sacred Books of the East, vol. XI.
(9) Lire aussi un exposé très bien fait du Nirvana dans
Le Bouddhisme, G.de Lafont. Chamuel, édit., 1895. Livre III, chap. II.
(10) Dr Rhys-David :
Sacred Books of the East, vol. XI, p. 16.